Santé

Un baume pour les dépressifs réfractaires

Chez une certaine proportion de personnes dépressives, qu’on appelle des dépressifs réfractaires, les médicaments et les traitements conventionnels n’ont aucun effet. Pour elles, la neuromodulation psychiatrique peut s’avérer une solution. Il s’agit de traitements novateurs ultraspécialisés qui permettent de stimuler les neurotransmetteurs du cerveau afin de traiter certains troubles mentaux. L’un d’eux est la stimulation du nerf vague. Le Centre hospitalier de l’Université de Montréal est reconnu comme une figure de proue au Canada dans ce domaine.

Danielle Gagnon n’a rien vu venir. En moins de deux semaines, elle a plongé dans le gouffre noir de la dépression. Ni les nombreux médicaments, ni les thérapies, ni les hospitalisations ne réussissaient à améliorer son état.

Pendant près de cinq ans, elle s’est traînée péniblement, jour après jour. Elle était incapable de sortir de chez elle. Incapable de se doucher, de préparer les repas, de regarder la télévision.

« Je m’assoyais devant la fenêtre et je regardais la montagne derrière la maison, témoigne Mme Gagnon. C’est tout ce que j’étais capable de faire dans ma journée. Aujourd’hui, je peux vous dire exactement où est situé chaque arbre. » 

Elle a essayé une dizaine de sortes de médicaments, a consulté un médecin et un autre, a suivi des thérapies, a été hospitalisée à quelques reprises en psychiatrie. Rien n’y faisait, elle touchait le fond.

Jusqu’à ce que sa psychiatre la dirige vers l’équipe de neuromodulation du CHUM.

« Je n’y croyais pas du tout », lance Mme Gagnon. Elle a accepté parce qu’elle n’avait plus aucune autre option. Elle n’en pouvait plus.

L’équipe du CHUM a opté pour la stimulation du nerf vague. Sous chirurgie, un générateur (pacemaker) a d’abord été installé sous la peau, près de la clavicule de Mme Gagnon. Celui-ci est connecté à une électrode reliée au nerf vague, situé près de la carotide. Le générateur envoie un stimulus au cerveau toutes les cinq minutes.

Mme Gagnon a rapidement vu une amélioration. Elle a recommencé à faire certaines activités, elle a retrouvé le goût de vivre. Elle qui ne souriait plus est maintenant capable de rire et de faire des blagues. Elle s’implique dans sa région pour faire connaître ce traitement. Dans son cas, les symptômes ont diminué de 80 %.

Malgré les progrès, elle est consciente qu’elle ne retrouvera jamais sa vie d’avant. Elle qui adorait lire n’est toujours pas capable de reprendre la lecture. Elle n’envisage pas un retour au travail. « Les médecins me le déconseillent. Ce serait trop de stress. »

Des résultats prometteurs

Le programme de stimulation du nerf vague s’est d’abord développé dans le traitement des personnes épileptiques. Des études ont ensuite démontré certains bienfaits dans le traitement des troubles mentaux. Le CHUM a commencé à l’appliquer en psychiatrie il y a six ans.

Une vingtaine de patients comme Mme Gagnon sont maintenant sous traitement. Ils sont vus par l’équipe tous les trois mois pour un suivi.

Jusqu’à maintenant, les résultats dépassent les attentes, note le Dr Paul Lespérance, chef du département de psychiatrie et directeur du programme de neuromodulation au CHUM.

Les études indiquent généralement une amélioration de 50 % des symptômes chez la moitié des patients, explique le Dr Lespérance.

« Ici, nous avons une amélioration de 80 % chez les deux tiers de nos patients. »

— Dr Paul Lespérance, chef du département de psychiatrie et directeur du programme de neuromodulation au CHUM

La renommée du programme a dépassé la région métropolitaine. Les malades commencent à provenir d’un peu partout au Québec.

La sélection des candidats se fait de façon très rigoureuse. Tous les dépressifs réfractaires ne sont pas de bons sujets. Le patient rencontre les membres de l’équipe de neuromodulation, dont plusieurs psychiatres, qui évaluent son cas et son parcours. Il doit aussi se soumettre à plusieurs examens, faire un bilan sanguin et des tests cliniques qui permettent entre autres d’évaluer sa mémoire et la rapidité avec laquelle il traite l’information.

« Même si le diagnostic semble facile, c’est loin d’être le cas », prévient le Dr Lespérance. L’équipe n’a pas le droit de se tromper et l’acceptation d’un nouveau patient est sérieusement étudiée.

D’abord parce qu’après plusieurs échecs, le patient s’accroche parfois à la neuromodulation comme à un dernier espoir et il ne faut pas le décevoir. Et aussi parce que le programme est coûteux.

« Nous devons trouver l’équilibre entre les risques et les bénéfices. Il y a aussi des enjeux financiers. On est conscient qu’il s’agit d’un traitement qui reste très spécialisé, en dehors des sentiers battus, et on veut que ceux que l’on implante donnent les meilleurs résultats possible », explique le Dr Lespérance.

L’équipe implante un générateur à environ cinq patients par année.

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